Israël : l’aveuglement de la politique de retenue

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Par Pr. Efraïm Inbar (notre photo), président de JISS (Institut d’Etudes de la Sécurité et des Stratégies de Jérusalem)

Source : https://mabatim.info/2024/02/18/israel-laveuglement-de-la-politique-de-retenue/

Bien qu’aux cours des dernières décennies, Israël soit devenu une puissance régionale, il a choisi, face aux provocations violentes du Hamas, une politique de retenue. Cette attitude est devenue une constante du comportement sécuritaire d’Israël. Depuis que le Hamas a pris le contrôle de Gaza en juin 2007, cette politique devait maintenir un « Hamas faible » afin « d’enfoncer un coin » entre Gaza, contrôlée par le Hamas et la Cisjordanie contrôlée par l’Autorité palestinienne, qui avait pour but d’affaiblir le mouvement national palestinien.

Israël a donc continué de fournir de l’eau et de l’électricité à Gaza, permis les exportations depuis Gaza et l’importation de marchandises dans l’enclave palestinienne,et même approuvé le transfert de millions de dollars du Qatar vers Gaza.

Les tirs de milliers de missiles et d’obus de mortier, le lancement de ballons explosifs, de cerfs-volants incendiaires et de drones, ou le creusement de tunnels depuis la bande de Gaza vers le territoire israélien n’ont pas provoqué de réponse immédiate et de grande envergure. Les attaques répétées du Hamas ont conduit à une réponse militaire limitée et mesurée, conçue pour contenir chaque incident et y mettre fin le plus rapidement possible. Au fil du temps, le Hamas a augmenté la portée de ses missiles et la taille de ses ogives, mettant en danger un nombre croissant d’Israéliens mais aussi d’installations stratégiques.

Israël a lancé un certain nombre d’incursions terrestres limitées (Plomb durci en décembre 2008-janvier 2009, Pilier de défense en novembre 2012 et Bordure protectrice en juillet-août 2014), qui n’ont été décidées qu’après des tirs de missiles intensifs et la désorganisation de la vie quotidienne du pays.

Les objectifs de ces raids étaient de dissuader les terroristes de nouvelles attaques contre la population israélienne sans aller jusqu’à renverser le Hamas ou prendre le contrôle de toute la bande de Gaza.

Ces opérations n’ont pas empêché le Hamas de monter en puissance, et Israël n’a pas réussi à maintenir le « Hamas faible ». Après le 7 octobre, la dissuasion a échoué et la clôture high-tech de surface et souterraine n’a pas arrêté l’invasion du territoire israélien.

L’endiguement et la retenue au fil du temps traduisent une aversion à l’usage de la force, mais dans une région où la culture politique valorise l’usage de la force, ce comportement est vu comme une faiblesse.

La diminution de la dissuasion rapproche de la prochaine vague de violence. La peur des pertes, qui depuis ces dernières années caractérise la société israélienne, a été perçue par les ennemis comme un « talon d’Achille » d’Israël et a eu pour résultat l’érosion de la dissuasion du pays.

De plus, cette retenue donne à l’adversaire de temps pour le renforcement de son armement. Israël a adopté la formule « le calme répondra au calme » pour Gaza, ce qui, pendant un certain temps a épargné à la population israélienne des attaques à la roquette, mais a donné au Hamas le temps de consolider son régime et de construire sa puissance sans entraves. (De même, la politique de retenue face au Hezbollah libanais a eu pour résultat, une augmentation exponentielle du nombre des missiles de l’organisation terroriste).

L’attaque du Hamas du 7 octobre a malheureusement démontré que l’absence de riposte immédiate entraîne, à plus longue échéance, des conséquences tragiques. Par ailleurs, la politique de retenue encourage l’usage de la force par les ennemis, ainsi que l’augmentation de la violence contre Israël. Le Hamas a augmenté la portée de ses missiles et a rendu la situation d’un nombre croissant d’Israéliens invivable. À Gaza, la retenue a créé des conditions qui ont conduit à une sanglante surprise stratégique. La retenue a induit la frustration du public israélien, qui s’attendait à ce que Tsahal frappe plus durement. Les citoyens de l’État ont le droit au respect du contrat social, qui oblige l’État à assurer la sécurité des Israéliens.

À la suite des événements du 7 octobre, il apparaît qu’Israël s’est trop appuyé sur la politique de retenue et qu’il est vital de revenir à la doctrine de sécurité originelle, qui autorise des frappes préventives.

Israël paie un lourd tribut pour avoir abandonné ce principe de frappes préventives, indispensables pour restaurer sa dissuasion et terroriser ses ennemis. EI

Pr. Efraïm Inbar, JISS
Président de JISS (Institut d’Études de la Sécurité et des Stratégies de Jérusalem)


Le professeur Inbar dirige également le programme sur la stratégie, la diplomatie et la sécurité nationale au Collège Shalem. Il a été a été le directeur fondateur du Centre d’études stratégiques Begin-Sadat (1993-2016). Il est l’auteur de cinq ouvrages : Outcast Countries in the World Community(1985), et War and Peace in Israeli Politics. Labor Party Positions on National Security(1991), Rabin and Israel’s National Security(1999), The Israeli-Turkish Entente(2001), et Israel’s National Security : Issues and Challenges since the Yom Kippur War(2008), et a édité quatorze collections d’articles scientifiques. Il est spécialiste de la doctrine stratégique israélienne, de l’opinion publique sur les questions de sécurité nationale, de la politique américaine au Moyen-Orient, de la diplomatie israélo-palestinienne et des relations israélo-turques.

Traduit et adapté pour « MABATIM.INFO »

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