Assez c’est assez !

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Par Jean-Pierre Braun – LPH INFO

Illustration : Shutterstock – image prise à Bené Brak, « ‘Hélas, on en a marre (de tel ou tel candidat), on vote Ma’hal »…

« C’était le meilleur des temps, c’était le pire des temps,

C’était l’âge de la sagesse, c’était l’âge de la folie, (..)

C’était le printemps de l’espoir, c’était l’hiver du désespoir. 

Nous avions tout devant nous, nous n’avions rien devant nous »

Charles Dickens dans « Un Conte de Deux Villes » (1859).

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Certains affirment que la vague de protestation en cours concerne la réforme judiciaire proposée parce que, disent-ils, elle transformera sans aucun doute le pays en une dictature.

De plus en plus comprennent que ce n’est qu’un prétexte et que la protestation est en réalité une tentative de renverser le gouvernement démocratiquement élu de Benjamin Netanyahou.

Certains disent qu’ils protestent pour protéger la démocratie et empêcher la montée d’une dictature.

De plus en plus de manifestants considèrent les actions des manifestants comme un déni de démocratie et une tentative à peine voilée de Coup d’État.

Certains disent que ces actions anti-gouvernementales ont commencé le 7 janvier 2023 lorsque affirment-ils, le « peuple d’Israël », agitant notre drapeau vénéré est descendu dans la rue pour empêcher la réforme judiciaire d’être promulguée.

De plus en plus de gens savent maintenant que la planification détaillée de ces actions antigouvernementales a commencé en juillet 2020, lorsque Ehud Barak, après avoir perdu si lourdement aux élections législatives précédentes qu’il n’était plus éligible pour continuer à siéger à la Knesset, s’adressait à un groupe d’officiers de réserve de l’armée de l’air. Il a esquissé un plan d’action si scandaleux et violent que je ne veux pas en répéter un mot, mais avec un seul objectif en tête : évincer Netanyahou par tous les moyens possibles. La vidéo de ce discours de Barak est largement disponible sur Internet.

Certains disent que leur mouvement de protestation est authentique, spontané, sourcé dans la conscience de l’Israélien ordinaire.

De plus en plus de gens savent maintenant que ce mouvement de protestation est en gestation depuis longtemps, a été soigneusement planifié et richement financé (de la fortune d’Ehud Barak, du New Israel Fund et de nombreuses autres sources, internationales et nationales).

Certains disent que le mouvement anti-gouvernemental actuel est un soulèvement historique sans précédent dans son but de protection des valeurs fondamentales d’Israël.

Cependant, les étudiants de l’Histoire savent que ce n’est pas une première, et que, hélas, la courte histoire du retour à sa Terre promise du peuple juif est parsemée d’émeutes, de violences, de manifestations et autres « Ma’hloket », trop souvent opposant des Juifs à d’autres Juifs.

Une liste, même partielle, s’impose :

  • En 1947, Ben Gourion ordonne le naufrage de l’Altalena, un navire apportant des armes indispensables à un jeune pays d’Israël assiégé. Le navire avait été affrété par l’Irgoun, le commandant de la troupe qui l’a coulé n’était autre que Yitzhak Rabin. Des Juifs tuaient des Juifs.
  • En 1951, en pleine crise des Ma’abaroth, Ben Gourion démissionne de son poste de Premier ministre à la suite d’un conflit violent entre factions religieuses et non religieuses. Déjà !
  • En 1952, de violentes émeutes anti-gouvernementales ont lieu dans tout le pays, des pierres sont lancées sur la Knesset pour protester contre le programme de réparation allemand (en relation avec la Shoah). Mena’hem Begin, alors chef du ‘Hérout dirigeait le mouvement.
  • En 1959, les émeutes de Wadi Salib commencent à ‘Haïfa et opposent les sefarades à l’establishment en raison de la discrimination généralisée en cours. Cela conduira à d’autres émeutes tout au long des années 60, à la création du mouvement Black Panther et à la fondation du parti Shass.
  • Précurseur de la vague actuelle de refus de servir dans l’armée, en juillet 1982, le commandant Eli Geva, alors responsable d’une brigade blindée lors de la guerre du Liban, a démissionné de son commandement pour des raisons de conscience. Il a été le premier objecteur de conscience de Tsahal et en a subi des conséquences très sévères
  • Le 2 septembre 1983, Emil Grunzweig zal, un militant du mouvement « La Paix Maintenant », est tué lors d’une manifestation à Jérusalem par une grenade lancée par un militant de droite. Un Juif tue un autre Juif.
  • Le 4 novembre 1995, Itzhak Rabin Z”L est assassiné. Un Juif tue un autre Juif.
  • En 2005, de grandes manifestations dans tout le pays sont organisées en réponse à l’évacuation forcée, quelquefois très violente de Goush Katif par l’armée israélienne. Des Juifs commettant des violences contre d’autres Juifs.
  • En novembre 2006, des centaines de milliers d’Israéliens descendent dans la rue pour exiger l’éviction du Premier ministre Olmert à la suite de la deuxième guerre du Liban.

Ce n’est qu’une liste partielle, un liste exhaustive serait beaucoup plus longue…

Affectio Societatis

Quelle que soit l’organisation, elle ne peut exister que si ses membres partagent une intention mutuelle de former et de soutenir ladite organisation. Cette intention ou volonté mutuelle est appelée « Affectio Societatis ». C’est un concept de droit français très important, qui a été étendu pour s’appliquer aux entreprises, aux entités sociales et aux organisations politiques. Aux nations également.

Bien que cela puisse paraître comme une analyse simpliste, il n’est pas déraisonnable de penser que la chute des empires à travers l’Histoire (Egypte, Grèce, Rome, etc.) a été causée par la perte de l’Affectio Societatis, c’est-à-dire la perte d’intérêt pour la nation, l’histoire et la culture qu’ils ont construites ensemble, la perte du désir des citoyens de continuer à faire vivre ensemble leur civilisation.

De nombreux facteurs peuvent conduire à ce déclin, parmi eux : (1) L’érosion de la cohésion sociale, en particulier lorsque de nombreuses cultures, coutumes et traditions différentes doivent fusionner dans la nation. (2) Les disparités économiques, surtout lorsqu’elles sont émergentes et très prononcées. (3) La perte ou même la perte perçue de loyauté de la part des forces armées, en particulier si la nation fait face à des menaces extérieures.

Mondialisation

Un nouvel axe de conflit est apparu ces dernières décennies dans de nombreux pays du monde. Bien que non-spécifique à Israël, ce conflit trouve ici une résonnance très particulière. C’est le conflit entre « Identité » et « mondialisation ».

L’attachement d’une nation à son identité implique la volonté de ses citoyens de défendre ses traditions, son histoire, sa langue, ses valeurs, sa culture et son tissu social dans le but de maintenir en vie l’Affectio Societatis.

La mondialisation, fondée sur le fait que le monde est de plus en plus interconnecté et interdépendant, pousse à adopter la culture dominante de l’époque au détriment des cultures et des identités individuelles. C’est ce que l’on appelle parfois « Woke » ou « Cancel Culture ».

Un exemple parfait de mondialisation à l’œuvre peut être vu dans l’Union européenne où les frontières entre les nations individuelles sont éliminées, les lois européennes appliquées par des fonctionnaires européens non élus remplacent les lois nationales et la Cour de justice européenne est devenue l’arbitre judiciaire ultime. Les nations européennes disposées à ne pas se laisser imposer ce nouveau statu quo comprennent l’Italie, la Grèce, la Hongrie, la Pologne et plusieurs autres, désireuses de défendre leurs frontières et leurs identités.

Religion

La religion est une composante de l’identité nationale qui a été mise à l’écart avec l’avènement du laïcisme, et qui est généralement « prise avec des pincettes », principalement en raison de la place croissante prise par l’islam dans le monde occidental. Une telle préoccupation n’existe pas en Israël, et la religion joue un rôle clé dans la définition de l’essence d’Israël en tant que nation. Le judaïsme est la religion du pays, il n’y a aucune menace qu’il soit remplacé par une autre religion. Mais le rôle que joue le judaïsme dans la vie nationale d’Israël, et en particulier le rôle joué par la Halakha, le code des lois religieuses défini dans la Tora et le Talmud, et interprété par les autorités rabbiniques, est au centre des discussions depuis la fondation de l’État d’Israël. En juillet 1958, Ben Gourion écrivait : « La Déclaration d’indépendance n’a jamais décidé que l’État juif devait être un État halakhique dirigé par des rabbins… Au contraire, nous avons déclaré que ce ne serait pas un État théocratique et que les hommes et les femmes auraient des droits égaux, ce qui contredit la Halakha… » Cependant, dans le but de maintenir une coalition avec les partis religieux, les actions de Ben Gourion contredisaient souvent ses écrits.

La majorité des Juifs dans le monde approuveraient l’idée que le Judaïsme, ses lois, sa Tora, ont constitué le ciment qui a permis au peuple juif de traverser les siècles. Aujourd’hui, cependant, la religion est considérée par beaucoup comme une pierre d’achoppement, une source de division, de méfiance, de conflits entre Israéliens laïcs et Israéliens attachés à la Tora.

Au-delà de tout autre prétexte, ce conflit autour de l’identité religieuse est la raison première, à mon sens, qui amène tant d’Israéliens à descendre dans la rue.

L’élite

Jour après jour, les médias rapportent que « l’élite » de ce pays menace de faire grève, de suspendre ses services, de déplacer ses actifs financiers considérables et de délocaliser ses entreprises, plongeant potentiellement le pays dans une crise profonde et exposant ses flancs affaiblis à nos ennemis. Qui sont ces « militants de haut niveau » capables à volonté de paralyser le pays, de détruire l’économie, d’affaiblir Tsahal et de causer une misère généralisée au « petit peuple » ? Sans ordre particulier, ce sont des pilotes et autres officiers supérieurs, des médecins, des chirurgiens, des professeurs d’université, des avocats, des ingénieurs et des entrepreneurs, des cadres de banques et de capital-risque, même des scientifiques d’une industrie nucléaire israélienne dont on ne sait si elle existe ….

Ce n’est pas une coïncidence bien sûr. Regardez mes points 2 et 3 sur le paragraphe « Affectio Societatis » ci-dessus, regardez toute la section sur la mondialisation. Ces gens ont le bon profil. Ils seraient particulièrement bien placés pour engranger les bénéfices de la mondialisation : ils profiteraient en premier de l’ouverture des marchés, de la libre circulation des cerveaux, des capitaux et des marchandises. Leur intérêt est donc d’adopter les tendances internationales et les valeurs mondiales, d’ouvrir les frontières des Etats, même au risque de perdre leur identité ancestrale.

Pour citer Ehud Barak : « La terre n’a pas d’importance, seuls les gens comptent ».  Il faut prendre ce discours au premier degré : soyons prêts à abandonner n’importe quelle partie de notre territoire national pour sécuriser nos positions et maximiser nos profits. Les gens comptent ? Oui et non : ce sont surtout les élites qui comptent. L’Elite se soucie peu des gens ordinaires.

Un point final

En 2008, commentant des événements qui se sont déroulés en 1996, l’ancien ministre et député Joseph « Tommy » Lapid (oui, le propre père de Yair Lapid) a écrit ce qui suit :

« Bibi Netanyahou n’a pas été élu Premier ministre en 1996 parce qu’Yitzhak Rabin a été assassiné, parce que Shimon Peres est un perdant, ou parce que Bibi Netanyahou est un magicien des médias. Bibi Netanyahou a été élu parce que la majorité du public juif ne pouvait pas accepter un accord dans lequel nous abandonnons des territoires pendant que les Palestiniens font exploser nos autobus. Une telle formule était trop meurtrière et ne laissait pas beaucoup de place à des considérations purement logiques. »

Le péché fondamental de Bibi Netanyahou a été d’avoir osé se faire élire malgré la sainte trinité : les médias, les universités et l’élite blanche (comprenez ici : les non-sefarades et les non-ultra-orthodoxes). La gauche libérale qui défend ardemment des élections libres, universelles et démocratiques, n’arrive pas à accepter le fait que la majorité puisse voter « mal ». D’où les tentatives persistantes et arrogantes de délégitimer Bibi Netanyahou en tant que Premier ministre. Ce n’est pas un hasard si le député Ra’anan Cohen, leader de la faction syndicale, s’est précipité devant la Cour suprême pour déposer une requête contre les résultats des élections. À en juger par la sensation dans les artères bouchées de la gauche, l’élection de Bibi était en contradiction avec les lois – si ce ne sont pas les lois du pays, alors les lois de la nature ».

La gauche et la droite sont des concepts en constante redéfinition qui ont peu à voir avec les interprétations traditionnelles : gauche signifiait défense de la classe ouvrière, droite signifiait défenseur du capitalisme. Ce n’est plus le cas. Pour ne pas compliquer le débat, restons fidèles à ces dénominations. La « gauche », non seulement en Israël, mais dans de nombreux pays occidentaux, s’est approprié le droit exclusif à la bonne parole, au juste message et à la vérité morale et politique.

Qui oserait contester cette position qui a été répétée tant de fois, elle en est devenue la vérité (aux yeux de ceux qui la colportent, bien sûr). C’est le message surprenant, et pourtant si juste, de Tommy Lapid. Cela sonne encore très vrai aujourd’hui.

Ça suffit maintenant

Israël est un rêve devenu réalité. C’est le refuge sécuritaire qui a tant manqué aux Juifs du monde entier à travers les vicissitudes des exils. C’est l’endroit où les survivants se sont rassemblés après la tragédie la plus monstrueuse de l’Histoire. C’est l’incarnation d’un rêve de 3000 ans.

Israël est aussi l’endroit où les Juifs contribuent, plus que tout autre peuple ou civilisation, à la santé, au progrès, au développement technologique et au bien-être de tous les citoyens du monde. Israël est passé en un temps record de la sécheresse et du paludisme au jardin d’Eden. Israël est l’endroit où le désert fleurit.

Israël est le seul pays occidental où la population dans son ensemble rajeunit, où les jeunes couples ont plus d’enfants ici que nulle part ailleurs parce qu’ils ont confiance en leur avenir sur cette terre bénie.

C’est le meilleur des temps.

Cependant, comme j’ai essayé de l’expliquer dans cet essai, Israël est en danger aujourd’hui. On ne peut pas identifier une seule cause, mais une convergence d’intérêts négatifs amène d’énormes foules dans les rues sous de faux prétextes, en utilisant des messages déformés et en causant un grand préjudice à la cohésion de notre pays et à notre réputation dans le monde.

On ne peut pas nier que la coalition en place porte une part de responsabilité dans ce gâchis, en n’expliquant pas assez clairement ce qu’elle essaie d’accomplir, en faisant voter quelques lois inopportunes et en tolérant les provocations inutiles de certains de ses membres éminents.

La coalition doit expliquer aux citoyens d’Israël ce qui se passe réellement, quels mensonges, fausses nouvelles et messages déformés sont propagés, comment et par qui est financé ce mouvement de protestation sujet a caution, et quels sont ses objectifs. Il ne devrait y avoir aucun doute dans l’esprit de quiconque sur la nature réelle des manifestations. Toutes les formes d’incitation devraient faire l’objet de poursuites avec toute la sévérité possible.

Il n’y a pas de place en Israël pour la désertion au sein d’une armée que le peuple adore, ni même pour la menace de désertion, Tsahal a un devoir sacré. L’armée d’Israël doit rester au-dessus de toute considération politique.

Il n’y a pas de place en Israël pour des mesures, des actions ou des sentiments antireligieux. La religion est ce qui a maintenu le peuple juif en vie tout au long de l’histoire alors que les nations et les empires s’effondraient. La religion est la seule raison pour laquelle nous avons un droit légitime et incontestable de vivre sur cette terre sacrée.

Il n’y a pas de place en Israël pour la Cancel Culture, le Wokisme ou la Mondialisation débridée. La culture ancestrale juive doit être respectée, enrichie et développée pour nous permettre d’affronter les 3000 prochaines années. Il y va de notre responsabilité.

C’était peut-être le pire des temps.

Mais avec l’aide de D’, nous verrons à nouveau le meilleur des temps. La recette est simple : rester fidèles aux valeurs que nous avons démocratiquement choisies et soutenir notre gouvernement démocratiquement élu. Corriger les erreurs du passé récent. Concertons-nous avec toutes les bonnes volontés qui veulent aplanir les difficultés actuelles de manière constructive pour adopter autant que possible l’ensemble des projets de lois sur une base consensuelle, tout en gardant à l’esprit les objectifs de la coalition : équilibrer les branches du pouvoir de la manière la plus équitable possible, et rétablir la confiance dans toutes les branches du gouvernement. Israël est et restera une démocratie, peut-être la seule démocratie dans un océan de dictatures. Et avec l’aide de D’, le peuple juif continuera de grandir, de prospérer et de s’épanouir sur cette terre incroyable qui est la nôtre.

Jean-Pierre Braun a passé sa carrière au cœur de la Hi Tech dans la Silicon Valley (Californie). Jean-Pierre a également été le fondateur et président pendant 20 ans d’une synagogue unique au centre de la Silicon Valley et, à son retour en France, est devenu vice-président du CRIF Rhône Alpes et président de la communauté Rachi à Grenoble. Avec sa femme Annie, ils ont fait leur Aliyah a Jérusalem en 2016.

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