Le Qatar point pivot entre le Hamas et Israël

Le Qatar point pivot entre le Hamas et Israël

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L’émir qatari Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, avec le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi, à gauche, et le secrétaire général de la Ligue des États arabes Ahmed Aboul Gheit, lors du Sommet international pour la paix près du Caire, samedi 21 octobre. Bureau des médias de la présidence

Le 21 octobre, deux otages américaines, enlevées par le Hamas en Israël, ont été libérées après une médiation du Qatar. Son intervention a été saluée par les États-Unis et la France, rappelant le rôle que ce pays du Golfe veut jouer dans les négociations. Comment le Qatar joue-t-il de son influence dans ce conflit ? Entretien.

TV5MONDE : Pourquoi le Qatar représente-t-il un médiateur intéressant dans ce conflit ?

Christian Chesnot, journaliste, spécialiste du Qatar, auteur de « Le Qatar en 100 questions » – Les secrets d’une influence planétaire (éditions Tallandier) : Le Qatar a un rôle ancien dans ce genre d’affaires de médiation. On l’a vu par exemple en Afghanistan, où le pays a joué les intermédiaires avec les Talibans, notamment pour l’évacuation de Kaboul. C’était aussi le cas pendant la guerre civile en Syrie, où des otages ont été libérés grâce aux médiations du Qatar.

Et là, dans ce cas, il est d’autant plus à même de jouer ce rôle parce qu’il parle à tout le monde. Il parle à la fois au Hamas, à l’Iran, (ce qui n’est pas le cas d’autres pays impliqués), qui a une influence sur le Hamas et à Israël. Même si le Qatar n’a pas d’ambassade comme les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte ou la Jordanie, il y a quand même une ligne, un canal de communication ouvert avec Tel Aviv. Tout ça fait de lui un interlocuteur incontournable.

TV5MONDE : Quels liens a-t-il aujourd’hui avec le Hamas ?

Christian Chesnot : Premièrement, ces liens sont anciens. L’ouverture du bureau politique du Hamas au Qatar date de 2012. Le premier lien est donc politique, parce qu’il accueille le Hamas sur son territoire. Il y a aussi une proximité idéologique. Le Qatar soutient la mouvance des Frères musulmans (les Frères musulmans palestiniens ont donné naissance au Hamas, NDLR), ce qu’on a vu notamment au moment des printemps arabes. On peut aussi citer des liens amicaux, parce que la famille royale qatarie est proche de certains membres du Hamas.

Et enfin, les liens les plus forts sont diplomatiques, économiques. Le Qatar finance le budget de la bande de Gaza (administré par le Hamas, NDLR), à hauteur de 30 millions de dollars par mois, pour payer des fonctionnaires, acheter du fuel, etc. Donc il existe un certain nombre d’éléments qui montrent qu’il a une vraie influence.

TV5MONDE : Comment se manifeste cette médiation pour l’instant ?

Christian Chesnot : Tous les pays qui ont des otages à Gaza, les Américains, les Français, les Allemands, etc. passent par le Qatar pour négocier avec les ravisseurs. C’est d’autant plus facile qu’à Doha, dans les ambassades, on trouve des responsables des services de renseignement de ces pays, et leurs homologues qatariens qui sont déjà en contact avec le Hamas.

TV5MONDE : Est-ce qu’il peut être amené à jouer un rôle plus important, en dehors de la question des otages, dans l’avenir du conflit ?

Christian Chesnot : Le dossier des otages est très urgent, sensible et symbolique. Après, le Qatar pourra être amené à jouer deux rôles. Un premier rôle diplomatique, dans l’architecture de l’après-guerre, dans l’architecture politico-sécuritaire, etc. La question sera alors : que va devenir la bande de Gaza ? Et le Qatar peut participer à y répondre. Et puis surtout, le plus important, c’est que c’est le Qatar qui va sans doute payer pour la reconstruction de Gaza, en termes d’infrastructures notamment. Pas tout seul, mais c’est un pays qui a des moyens financiers gigantesques.

TV5MONDE : Pourquoi son rôle peut aussi être considéré comme problématique par certains acteurs ? 

Christian Chesnot : Le seul angle mort qui prête à polémique, c’est la proximité du lien du Qatar avec le Hamas, et d’autres groupes. On avait déjà vu ça pendant la guerre civile en Syrie avec le Front Al Nosra (groupe formé par des membres de l’État islamique d’Irak en 2012, NDLR), que soutenait le Qatar. Le Front Al Nosra avait détenu des Casques bleus dans le Golan, des otages, etc.

Les Américains par exemple se posent des questions sur ce type de relations qui sont quand même troubles, ambigües. Parce que jusqu’à quel point le Qatar n’est pas finalement complice, d’une certaine manière ? Il y aurait un double jeu du pays, qui apparaîtrait comme le chevalier blanc aux yeux de tout le monde, alors qu’il est juge et partie et tire un peu les ficelles derrière. Ça peut être critiquable.

TV5MONDE : Est-ce quelque chose qui peut poser problème pour la médiation, ou l’heure est-t-elle au pragmatisme ?

Christian Chesnot : À ce stade, tout le monde est content et se félicite du rôle du Qatar. Ce qui peut aussi mener à une critique des Occidentaux. Pour des raisons politiques ou morales, ils ne veulent pas parler aux Talibans, au Hamas ou à l’Iran ; ils ne veulent pas se salir les mains. Mais à force de ne parler à personne, on est obligé de faire intervenir des pays intermédiaires, comme le Qatar ou la Turquie, pour mener des négociations. Il y a un moment où il faut bien négocier, sinon vous oubliez vos otages.

C’est donc aussi une faiblesse des Occidentaux, et une forme d’hypocrisie, de manque de cohérence. On critique beaucoup le Qatar pour ça mais en en même temps, on signe des contrats de gaz, on a besoin de son argent, de sa médiation…

TV5MONDE : Quels autres pays pourraient aussi jouer un rôle de médiation, voire concurrencer le Qatar ?

Christian Chesnot : Le premier pays, c’est la Turquie. Le régime d’Erdogan est aussi proche des Frères musulmans, a un poids important, et des relations avec Israël. Elle peut jouer un rôle. L’autre pays, évidemment, c’est l’Égypte. Elle a une ambassade à Tel Aviv, depuis la paix de Camp David en 1979. Elle parle donc aux Israéliens, avec des canaux de discussion officiels, diplomatiques et sécuritaires.

Et puis, elle a aussi des liens avec Hamas. Parce qu’il y a des gens du Hamas au Caire, parce qu’il y a une forme de coordination sécuritaire, avec la bande de Gaza, entre le Hamas et l’Égypte. L’Égypte possède un vrai levier : elle a la clé de la porte de Rafah (seul point de frontière de Gaza qui n’est pas avec Israël, NDLR). C’est elle qui ouvre ou qui ferme, donne les canaux de sortie, délivre les autorisations pour les camions. On ne peut donc pas négliger l’Égypte, qui a quelques clés importantes.

Il y a toujours une forme de concurrence. On l’a bien vu, le Qatar reçoit les louanges internationales. Il a par ailleurs déclaré qu’il allait continuer et qu’il y aurait des libérations prochaines. On est toujours dans le domaine de soigner son image, son soft power et se placer au centre du jeu.

TV5 Monde

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